Un drame que le Québec ne doit jamais oublier

Le 4 mai 1971, tout le Québec est rivé à son poste de télévision. Le Canadien de Montréal dispute le premier match de la finale de la coupe Stanley contre les Blackhawks de Chicago à Chicago. Le match est donc diffusé un peu plus tard que s’il avait eu lieu à Montréal. C’est probablement ce qui a fait qu’une catastrophe qui se préparait dans l’ombre n’a pas fait autant de morts que s’il s’agissait d’une journée comme les autres.

Comme la plupart des Québécois, les résidents de la petite municipalité de Saint-Jean-Vianney, située au nord de Saguenay, écoutent la partie malgré l’heure tardive. Vers 22 h 50, le courant est coupé subitement. Des cris se font entendre dans les rues de la municipalité plongée dans le noir. Ce sont des résidents qui somment leurs voisins d’évacuer leurs maisons rapidement, car plusieurs d’entre elles sont en train d’être avalées par une gigantesque coulée de boue. En pleine nuit, sans lumière, c’est la cohue générale, tous tentent de mettre leurs familles en sécurité. Étant donné l'heure tardive, plusieurs enfants en bas âge étaient déjà couchés. Ils ont été brutalement tirés de leur sommeil par leurs parents en panique qui essayaient de fuir les lieux précipitamment sans trop comprendre ce qui se passait.

Au lever du jour, le lendemain, c’est la stupeur. Le glissement de terrain a englouti une quarantaine de maisons et causé la mort de 31 personnes. La coulée a emporté 15 millions de tonnes d’argile et de sable jusque dans la rivière Saguenay. Le pont reliant Saint-Jean-Vianney à Chicoutimi-Nord n’a pas résisté. Il a aussi été emporté dans le Saguenay. À ce jour, une portion du pont peut encore être visible au milieu de la rivière. Le 27 mai 1971, le premier ministre Robert Bourassa annonce la fermeture définitive de Saint-Jean-Vianney. Environ 1700 personnes devront être relogées.

Une tragédie qui attendait dans l’ombre

Il y a plus de 10 000 ans, lors du retrait des glaces qui recouvraient une grande partie de l’Amérique du Nord, une épaisse couche d’argile s’est déposée sur tout le Québec, y compris sur la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Cette argile, lorsqu’elle se dépose sur un terrain plat, ne pose aucun risque. Cependant, en 1663, le tremblement de terre de Charlevoix a créé une grande dépression dans le sol, là où se situait la ville de Saint-Jean-Vianney. L’argile, qui compose le sol, se retrouve alors sur une pente raide. Rien ne changera pendant plus de deux siècles.

Puis le 24 avril 1971, 10 jours avant la tragédie, un petit glissement de terrain s’est produit sur la terre d’un agriculteur situé juste à l’extérieur de la ville, près du ruisseau Petit-Bras. Selon les spécialistes, c’est une nappe souterraine qui est responsable de ce premier glissement. L’argile, déposée il y a des millénaires, était maintenant sur une pente prononcée qui venait de perdre la portion retenant le tout. La catastrophe était devenue inévitable et, malheureusement, la population ne se doutait de rien.

La catastrophe a eu lieu il y a plus de 50 ans, mais chaque année, plusieurs survivants se réunissent sur le lieu de la tragédie afin de rendre hommage aux disparus. Un monument à l’image de la topographie qui a emporté autant de vie a été érigé et des lattes de métal, incrustées dans le sol, portent le nom de tous les disparus. Douze n’ont jamais été retrouvés.

Lorsqu’on visite l’endroit, on note que la nature a depuis repris ses droits. Le secteur est maintenant une forêt où on a installé de petites pancartes qui rappellent les bâtiments qui se trouvaient autrefois à cet endroit. Une application, téléchargeable à l’entrée de la ville fantôme, vous permet, en vous promenant dans la forêt, de visiter Saint-Jean-Vianney, telle qu’elle était avant le 4 mai 1971.