Recréer l’énergie du Soleil et des autres étoiles sur Terre

La fusion nucléaire promet une énergie propre, décarbonée et quasi inépuisable, mais les défis technologiques pour la maîtriser sont encore de taille. Rencontre avec une entreprise en démarrage californienne qui s’y affaire depuis 25 ans.

En décembre dernier, le département de l'Énergie des États-Unis (DOE) a fait une annonce historique : le 5 décembre, des scientifiques avaient enfin réussi à produire de l’énergie par fusion nucléaire dans un des laboratoires du DOE, le Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL) en Californie.

Le National Ignition Facility du LLNL contient l’installation laser la plus puissante au monde, composée de 192 faisceaux. Les lasers ont ciblé une capsule de deutérium-tritium de la taille d’un grain de poivre pour la chauffer à plus de 3 millions de degrés Celsius. Cela a provoqué une puissante ignition, qui a pour un moment simulé les conditions d’une étoile.

On a dû dépenser 2,05 mégajoules d’énergie pour générer 3,15 mégajoules d’énergie par fusion. Le gain de plus de 50 % est considéré comme une réussite majeure qui indique la viabilité de cette source d’énergie libre d’émissions ou de déchets. Mais on est encore bien loin de pouvoir alimenter nos maisons par fusion (ou nos voitures à voyager dans le temps, comme dans Retour vers le futur.)

De la théorie au concret

TAE Technologies est une entreprise californienne fondée en 1998 qui s’intéresse au potentiel de la fusion nucléaire comme alternative énergétique. Au départ plus petite, la compagnie compte désormais une équipe de 400 personnes et a récemment réuni 1,2 milliard de dollars américains grâce à de larges contributions de compagnies influentes telles que Google, Chevron et Reimagined Ventures. Grâce à ce financement, leur objectif de produire et, ultimement, de commercialiser cette énergie semble de plus en plus accessible.

« Le moyen préféré de la nature pour produire de l’énergie, c’est la fusion », confie Michl Binderbauer, cofondateur et PDG de TAE Technologies, à The Weather Network. Selon lui, la rentabilité et la sûreté de cette voie énergétique en font « une solution pérenne pour une énergie propre et décarbonée. »

Mais qu’est-ce que la fusion nucléaire?

La fusion nucléaire est la réaction qui se passe au cœur des étoiles. Le Soleil, boule de gaz brillante, est composé principalement d’hydrogène et de plasma. L’énergie est produite lorsque les atomes d’hydrogène entrent en collision les uns avec les autres. Cette énergie est relâchée sous forme lumineuse et s’accompagne d’un sous-produit : l’hélium.

Le contenu continue ci-dessous

Pour répliquer ce processus sur Terre, TAE technologies a choisi de s’intéresser à la fusion dite aneutronique. Plus sûre, elle nécessite toutefois beaucoup plus de chaleur que les autres types de fusion.

Plus spécifiquement, la compagnie chauffe un combustible hydrogène-bore dans un réacteur à fusion jusqu’à ce que la matière prenne l’état de plasma. Le plasma est constitué de particules chargées positivement qui se repoussent naturellement. Il faut donc des températures exceptionnellement élevées et des aimants puissants pour l’assembler et le maintenir en place afin que le processus de fusion puisse commencer. Un réseau de tuyaux transporte ensuite le fluide à travers une machine qui récupère la chaleur de l’énergie lumineuse. Il termine finalement sa course dans un générateur de vapeur. La vapeur ainsi produite fait tourner une turbine et produit de l’électricité.

Contrairement aux sources d’énergie traditionnelles qui relâchent des gaz à effet de serre comme le méthane et le dioxyde de carbone, le seul sous-produit de la fusion nucléaire est l’hélium qui est capturé pour être réutilisé dans d’autres secteurs industriels.

Lorsqu’on entend parler d’énergie nucléaire, c’est souvent pour parler de fission, un processus par lequel un noyau d’atome est séparé en plusieurs noyaux plus légers et, ce faisant, libère des produits radioactifs dangereux pour la santé humaine et l’environnement. La fission et la fusion opèrent au niveau nucléaire, soit à l'échelle des noyaux atomiques, mais c’est leur simple point commun : « La fusion hydrogène-bore n’a aucun composant radioactif. À part le terme nucléaire dans la taxonomie, on a affaire à des caractéristiques complètement différentes », rassure Binderbauer.

Surmonter les défis sur Terre

Comme on peut se l’imaginer, les conditions sur Terre sont bien différentes de celles sur le Soleil. Entre autres, les pressions et températures de notre étoile atteignent des seuils difficilement reproductibles sur Terre. Pourtant, la surface du Soleil est de 15 millions de degrés Celsius, ce qui est relativement doux en comparaison aux 75 millions de degrés que la TAE Technologies a générés en juillet. Ce record de température a démontré « un contrôle inégalé du plasma ».

Atteindre ces températures extrêmes semble être une des contraintes les plus importantes à ce jour. La compagnie est pourtant confiante et associe le progrès exponentiel du domaine de la fusion aux développements importants que certains secteurs connaissent, dont ceux de l’intelligence artificielle, de l’apprentissage automatique, de la technologie du vide et des connaissances sur le plasma.

Le contenu continue ci-dessous

Binderbauer a déclaré que l’objectif de la compagnie est d’atteindre un milliard de degrés d’ici la fin de cette décennie ou début 2030. Si ce seuil est atteint, la réaction produirait plus d’énergie qu’elle n’en consommerait. Le chemin pour atteindre ces températures sera encore long et semé d’embûches, mais « le potentiel de cette technologie est ce qui la rend si prometteuse », selon Binderbaueur.

« Il y a environ 10 fois plus d’énergie provenant du processus de fusion plutôt que du processus de fission : si on garde l’idée de s’inspirer de la nature … l’univers n’est pas mené par la combustion ni la fission. Il est mené par la fusion. »

Selon les estimations actuelles de la compagnie californienne, la fusion nucléaire pourrait devenir une composante régulière du portefeuille de production d’électricité aux États-Unis d’ici 2040. Bien qu’il s’agisse encore de supposition, Binderbauer reste très optimiste. « C’est un avenir merveilleux. Et ce qui nous en sépare, ce sont encore quelques années de science et d'ingénierie et surtout de tous travailler ensemble de manière concertée pour réussir à déployer cette énergie aussi vite que possible. »

D'après des informations recueillies par Isabella O'Malley, journaliste à The Weather Network, et par le réseau CNN.

Image bannière : une salle au National Ignition Facility du Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL), où on a réussi à atteindre l'ignition par fusion le 5 décembre 2022. (département de l'Énergie des États-Unis)